21/10/2005

Hypocrisie et haut-débit

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Ça tombait bien. J’avais l’intention de formuler une perspective autour des différents positionnements des territoires autour du haut-débit et ne voilà-t-il pas que l’actualité récente du haut-débit Limousin vient illustrer de façon croustillante le fonds de mon propos…


Comme vous le savez, notamment si vous êtes lecteur de ce blog, l’initiative Dorsal, qui fédère tout ce que la région compte d’acteurs publics importants, permettra la couverture intégrale de la région avec une offre minimum de type SDSL 2Mb à échéance du 01 juillet 2007. J’ai relayé la carte de déploiement la semaine dernière, suscitant des discussions stimulantes. Pendant ce temps, France Télécom mène son plan de déploiement, j’en suis ravi, et il n’aura échappé à personne que maintenant que Dorsal existe, le rythme s’est accéléré.
Toujours est-il que, dans un climat tendu entre les deux duettistes par ici habituels que sont Région Limousin et Conseil Général de la Corrèze, sur fonds de dossiers d’infrastructures, l’inauguration avec force ministres de la couverture d’une zone d’activité corrézienne et d’un canton rural par France Télécom, suscite quelques échanges hautement politiciens.
France Télécom pousse son avantage, c’est de bonne guerre. Il s’instrumentalise dans le débat politique, ce n’est ni la première, ni la dernière fois et c’est le jeu. Il nous fait prendre des vessies pour des lanternes avec des taux de couverture merveilleux basés sur le postulat que 100% des abonnés raccordés à ses répartiteurs sont adressés, alors qu’en zone rurale c’est plus sûrement 75%, il y a un public pour s’en satisfaire…
Jean-Luc s’en fait un écho des plus pertinent et je souscrit parfaitement à sa conclusion qui est voir dans tout cela la confirmation éclairante de la justesse du projet Dorsal dans sa capacité à faire du Limousin ce qu’il n’était pas, à savoir un enjeu économique manifeste du marché des télécoms. La publication des candidatures WiMax, cette semaine, le confirme également.
Sur le fonds toute cette mousse n’a pas grand intérêt en soi, sauf à considérer le fonds de pensée unique et de vision passéiste des télécoms qu’elle véhicule. À bien écouter ce qui se dit, la pensée dominante reste bien celle du réseau unique et de la nostalgie de la grande époque des PTT (voire des P&T, j’en avait déjà parlé).
On ne connaît que trop bien cette litanie qui nous parle de “doublons” et qui consiste à penser qu’il n’y a pas lieu d’y avoir autre chose qu’un opérateur unique qui adresse les besoins. Les réseaux déployés par les autres opérateurs seraient donc du gaspillage et on se garde bien de parler de qualité de service, de diversité des offres, de prix et au final de l’usager et consommateur (…)
Le plus hallucinant est que ce discours inepte est tenu par des élus et responsables de tout bord politique.
Il est alors assez sidérant d’entendre ces balivernes de la part de responsables que l’on sait parfaitement au fait de la réalité du marché des télécoms et qui sont par ailleurs les premiers à promouvoir les bienfaits de la concurrence fruits de la dérégulation. Personne n’est à l’abri d’une contradiction près, mais tout de même !
Il est à ce stade utile de rappeler que :
– nous sommes en 2005,
– le marché des télécoms est bien dérégulé et France Télécom est bien un opérateur privé parmi d’autres depuis bientôt 10 ans,
– plus personne ne met en doute l’importance des initiatives publiques,
– tous les gouvernements (des deux bords) soutiennent sans faillir les initiatives publiques locales, la meilleure preuve en étant l’éclosion de la L1425 qui confère aux collectivités la faculté de se saisir des problématiques de management numérique du territoire,
– tout le monde a salué dans Dorsal un exemple européen de bonne pratique.
En tant qu’observateur régulier des enjeux des territoires numériques, il y a en gros 4 postures types :
ne rien faire et considérer que le marché, souvent réduit au seul opérateur historique, fera le boulot. C’est typiquement le profil du fameux “département innovant” et le moins que l’on puisse dire est que ça ne coûte pas cher. C’est une approche à court terme, mais c’est un choix
prendre le sujet à bras le corps et aller au bout de la démarche en s’invitant sur le marché. C’est le cas du Limousin avec Dorsal, dans une approche qui considére que le marché ne suffira pas à satisfaire aux exigences que l’on attend du développement du réseau (en terme de degré et de rythme), vu comme un écosystème d’innovation et de développement. On se donne les moyens d’intervenir (politiquement) à long terme et on fait une DSP.
faire entre les deux et apporter le niveau de service souhaité par un marché de service, généralement envisagé comme une étape transitoire en attendant que le marché fasse son oeuvre ou que l’on passe à la vitesse supérieure. C’est aussi un modèle valable pour privilégier le réseau au profit de certains secteurs (l’éducation ou les zones d’activités par exemple).
Et le quatrième ? c’est la posture hypocrite qui consiste à ne rien faire et à laisser penser que c’est par son action que l’opérateur historique fait son oeuvre. C’est facile, il suffit de raviver la nostalgie du bon vieux temps des P&T.
Il y a de nombreux élus qui revendiquent la première posture et qui ne s’en cachent pas, mais ils n’ont pas l’outrecuidance d’affirmer que les choses se passent grace à eux. C’est un choix qui leur appartient et que je respecte, au contraire de ceux qui récupèrent le travail de l’opérateur historique. Celui-ci est assez malin pour laisser dire et profiter de la bonne publicité gratuite qui lui est ainsi servie, au mépris de la réalité du marché des télécom et de la neutralité qui devrait être de mise de la part de tout responsable qui se prétend comme tel.
Le plus pathétique c’est bien évidemment que les utilisateurs du net, à qui on ne le fait pas puisqu’ils ont appris sur le tas la réalité des choses, ne sont pas ciblés par cette posture. Elle est versée dans un bon schéma traditionnel par le biais des médias au bon peuple. 45% des foyers français sont connectés et une bonne moitié a le niveau d’usage pour ne pas être dupe. Cela laisse une grosse majorité qui n’a pas la pratique et l’intérêt nécessaire à une bonne connaissance du contexte et des enjeux. Ça ressemble à du populisme, non ?
La réalité du terrain et du marché, c’est qu’il y a de la place pour tout le monde ! pour Dorsal, comme pour France Télécom, mais aussi pour d’autres comme le pensent les 44 autres opérateurs qui ont manifesté l’intérêt d’opérer en WiMax en Limousin. Il est temps de penser en terme de développement économique et d’arrêter de jouer machin contre bidule sur le registre du monopole, de la pensée unique et de logique d’aménagement du siècle dernier ! de prendre le citoyen pour autre chose qu’un imbécile !

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