25/03/2009

Ecouter ses clients, pour quoi faire ?

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Je ne ferai l’insulte à aucun des lecteurs de ce blog de ne pas penser qu’à l’heure du web social, celui-ci représente une mine d’information pour toute marque, entreprise ou institution qui se respecte, sinon un moyen de dialogue. Après tout, vos consommateurs ou usagers se parlent entre eux de leur expérience d’avec ce que vous leur proposez. Cela vaut autant pour des produits de marque, des services, jusqu’au politique. La question de savoir comment faire partie de cette discussion est un élément qui ne devrait plus se discuter de nos jours. Et pourtant …


L’avis du consommateur ou usager est la base. Sur ce principe, Gordon Brown vient de lancer un vaste programme, qui participe de plateformes gouvernementales pour collecter avis et commentaires sur tous les services publics ou autres que les anglais pratiquent. Plutôt que de laisser prospérer anarchiquement la discussion, créer un lieu maîtrisé d’expression est à la base des préceptes de Suntzu et de la capacité à recréer du temps politique, selon un principe de décantation simple à comprendre. Resterait cependant à faire lien avec tout ce qui se dit ou fait partout ailleurs, mais à la vitesse ou le web en général et le web social en particulier se dote de passerelle et capacités de mise en lien, c’est presque indécent de ne pas en profiter.
Dans son billet, Fabrice pointe fort bien ce que l’on n’a que trop bien vu en France avec les divers initiatives privées de notation. Sous prétexte de populisme ou de considérer que l’expression sur le web n’est que source de destruction, on préfère éradiquer le thermomètre. Pourtant, l’e-commerce démontre tous les jours à qui veut s’y intéresser, qu’il y a plus de recommandations positives que de mauvais coucheurs, qui ne demandent d’ailleurs rien d’autre qu’un peu de considération sur le service.
Pour autant, écouter c’est bien, mais ça ne suffit évidemment pas. Cela fait en effet longtemps maintenant que Dell a montré la voie, démontrant que l’outil ne suffit pas et que c’est l’intégration même du dialogue dans la stratégie de la marque, dans l’essence de son modèle relationnel d’avec ses cibles, qui est la source de la valeur. Depuis, Obama a plus que transformé l’essai, avec un degré d’intégration encore plus fort. Illustration avec OpenForQuestions, nouvel élément du dispositif social de l’administration Obama.
Il y a dans tout ça l’idée qu’il faut donc écouter ses utilisateurs, leur propose ce qu’ils demandent et que ça va le faire. Mais est-ce bien une bonne idée tout compte fait ? Même Apple a récemment suscité une relative déception avec la version 3.0 de l’OS de l’iPhone, pour n’avoir fait “que” répondre aux attentes.
Actuellement, le débat fait rage autour de ce qui arrive avec Facebook. La nouvelle page d’accueil ne le fait pas. D’ailleurs, perso, je trouve qu’on ne voit plus les notifications et je déteste de ne plus avoir en vue mon statut courant comme avant.
Ce changement n’a pas été drivé par l’attente des Facebookiens, mais par la quête d’un business model de la poule aux oeufs d’or. Mais ce qui est bon pour le business ne l’est pas toujours pour les usagers et, après avoir perçu le bruit ambiant du rejet via des groupes spontanée, puis ouvert un lieu d’expression qui n’a fait que confirmer la température, essayé de nier l’évidence, Facebook finit par céder.
Mon avis est que cela n’a pas nécessairement à voir avec le fait d’écouter ou non. Ils avaient déjà été repris par la patrouille sur les données personnelles, illustration du principe que les utilisateurs sont dans les réseaux sociaux comme dans un jeu et qu’ils ont donc horreur que les règles du jeu changent, remettant en cause ce qu’ils y font et ce qu’ils y ont fait. Même combat donc avec la nouvelle page d’accueil, sans doute conçu avec attention et rigueur, mais qui a le tort de remettre en cause l’écosystème social que représente Facebook lui-même.
De ma modeste expérience de conduite du changement dans bien des contextes, j’ai retiré la conviction que poser la question aux utilisateurs de savoir ce qu’ils veulent est généralement vain. Tout simplement parce que “que voulez-vous ?” adresse du comment et pas du pourquoi. À l’opposé, proposer quelque chose, genre un prototype et demander aux utilisateurs “qu’en pensez-vous ?” n’a pas plus de sens, et pour la même raison.
L’appropriation et le changement n’ont rien à voir avec de l’utilisabilité à la base, cela a à voir avec l’association de la chose avec un but. Tout le monde est fasciné par le succès de Twitter, un truc ridiculement pauvre, mais qui a su séduire en masse, justement parce que la simplicité facilité l’habilité à lui trouver du sens. C’est comme les enfants qui jouent avec un rien alors qu’on s’échine à leur offrir des jouets très élaborés. Plus on empile les fonctionnalités, moins on donne de sens.
En fin de compte, le problème n’est pas d’écouter ou pas ses utilisateurs, c’est de savoir ce que l’on fait de ce qu’ils disent. Faire ce qu’il expriment ne fabrique aucune valeur. Ils l’ont déjà acquise collectivement en discutant entre eux et le risque est alors d’éclairer les failles de la réponse elle-même, dans le post-appropriation où ils sont déjà, dans leur tête. La vraie valeur est dans la nouveauté qui répond, non pas à un besoin, mais qui révèle et résout en même temps une frustration sinon une souffrance.
En fin de compte, le problème n’est pas d’écouter, mais de comprendre. Le but véritable d’un dialogue, n’est-il pas ?

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