09/02/2008

LIFT Conference : Nespresso et l'innovation, what else ?

Author: Webmaster

IMG_0519.JPGLa LIFT Conference, ce n’est pas qu’au sujet du web, c’est aussi à propos de l’innovation en général et de ses succès en particulier. Nespresso a inauguré début de ce mois une boutique de 400 m2 à Lausanne. Un événement modeste si on le compare aux 1500 m2 de son «vaisseau amiral» ouvert mi-décembre sur les Champs-Elysées Parisiens. Mais tout obéit à la même logique: celle d’affirmer son positionnement sur le luxe. Un modèle marketing éprouvé et remarquable à plus d’un titre !
1) Un business basé sur les consommables
Avec un prix de l’ordre de 0,33 € par capsule de 5 grammes, soit 66€ le kg (environ 5 fois plus cher que le café moulu haut de gamme). Il faut noter par ailleurs que le standard est plutôt à 7 grammes. Et 2 g sur 7 g de café c’est presque 30% de poids de café gagné…

Le 8 août 1947, Achille Gaggia a fixé les paramètres de l’espresso: pression de 8/9 bars sur une galette de mouture de 7 grammes avec un temps de passage pour une tasse pleine au 3/4 de 17secondes

2) Un lock-in technologique
Afin que tous les adeptes des machines Nespresso s’approvisionnent uniquement à la maison mère, il faut que l’usage de capsules compatibles soit impossible, que le client soit bien captif en terme de consommables. Un classique de l’automobile et de l’informatique, comme avec les cartouches d’encre.


3) Un lock-in de distribution aussi
Même si Nespresso n’est pas le seul à fonctionner en système captif (comme Malongo, Tassimo de Kraft Foods, Senseo de Maison du Café par exemple …) se sont bien les seuls à avoir réussi le lock-in distribution en assurant eux-même la distribution au détail (vous ne pouvez acheter vos capsules que dans une boutique Nespresso ou par internet sur nespresso.com)
Nespresso_boutique.JPG
C’est aussi pour cela que Nespresso est une innovation stratégique (au sens de la typologie de C. Markides et P. Geroski) : un faible d’impact sur les habitudes profondes des consommateurs mais un impact significatif sur les compétences et les actifs des acteurs établis, qui peinent à se relever du hold-up réussi par la marque Suisse (rappelant la redéfinition des acteurs de la TV ayant eu lieu avec la généralisation des écrans plasma et LCD).

4) Un niveau de traçage inégalé
Car Nespresso a un contrôle total de la chaîne de valeur :
• Nespresso a passé des accords exclusifs avec des producteurs de café (récolte)
• La firme contrôle également la torréfaction, l’emballage, le réseau de distribution exclusif à la marque, en boutique comme par correspondance
• De plus, les machines Nespresso sont fabriquées sous licences par les géants de l’électroménager (21 modèles proposés par divers constructeurs, avec des coûts de développement estimés à 4 – 6 millions d’euros)
• Finalement, lors de votre première commande, vous indiquez quelle machine vous avez acheté, où vous l’avez acheté et combien 🙂
• Qui connaît mieux que 3,1 millions de personnes leur propre consommation de café? Nespresso, dont il semble pourtant que la croissance soit freinée par sa capacité de production limitée. Un problème résolu en partie cette année avec l’inauguration d’une deuxième usine…
Mais alors, quel est le secret de Nespresso pour se permettre autant d’originalité et vendre 2,3 milliards de capsules en 2006 ?
C’est là qu’Eric Favre entre en scène. Cet ingénieur de chez Nestlé décide en 1975 d’encapsuler l’espresso. Sa femme, Anna-Maria, est italienne et lui propose donc une tournée des meilleurs cafés de Rome afin de goûter à ce qu’il se fait de mieux.
C’est alors qu’ils rencontrent Eugenio, barista du Sant’Eustachio Bar, devant lequel les Romains font la queue pour un café. En observant Eugenio, ils constatent rapidement que le café, l’eau et sa température sont importants. Mais ce qui les intrigue, c’est l’impact spécifique du geste particulier d’Eugenio : croyant sa vieille machine à pistons défectueuse, il donne des petits coups de leviers à répétition lors du passage de l’eau.
Visuel01.jpgC’est bien plus tard qu’Eric Favre comprend qu’en fait ce mouvement fait entrer de l’air dans la machine. En reproduisant en laboratoire le phénomène avec de l’air à 200 bars, il réussit à produire en grande quantité la fameuse “crème” de café. De plus, l’oxygène de l’air a pour effet de révéler les arômes du café, par oxydation. Une opération qui a également lieu dans la bouche avec des papilles réveillées par l’éclatement des bulles de la crème qui libèrent les arômes. En 2 ans, l’équipe met au point une pompe qui envoie de l’eau et de l’air dans une capsule de café. Et en 1977, on boit déjà du “Nespresso” chez les Favre.
Pour protéger (par 70 brevets mondiaux), industrialiser et commercialiser le système, il faut du temps et de l’argent. La société Nespresso est finalement créée en 1985 mais sans grand succès, avec des machines tristes, réservées aux bureaux. Nestlé nomme alors Jean-Paul Gaillard en 1988 à la tête de l’entreprise pour une ultime tentative de sortir les capsules des machines de bureau.
Jean-Paul Gaillard met en place alors 2 idées fortes supplémentaires :
logo_nespresso.png• Entrer sur le marché par le luxe, car il semble que le budget marketing de 1.6 million de l’époque ne permette pas une entrée par le marché de masse, une entrée par le luxe étant paradoxalement moins coûteuse. C’est l’invention du “Club Nespresso” et du service téléphonique gratuit associé.
• Dé-viriliser l’acte de boire un espresso, en adoptant les codes de la joaillerie et un logo particulier, réalisé avec 2 escarpins superposés.
En 1990, Eric Favre quitte la direction de Nespresso pour fonder Monodor avec du capital familial et continuer le perfectionnement du système. Un accord sur la propriété intellectuelle est conclu en 2004 entre Favre et Nestlé permettant à Monodor de développer des systèmes pour les concurrents Lavazza blue et Migros Delizio.
Les innovations de Monodor portent sur l’emballage des dosettes en polypropylène au lieu de l’aluminium et sur des dosettes pour le café allongé, le thé, le chocolat ou le bouillon. En fait, le vrai monopole de la dosette, c’est lui… jusqu’en 2012. Dommage également qu’Eric Favre n’ait pas l’élégance de reconnaître le succès de Nespresso comme un travail d’équipe.
Mais il reste encore beaucoup à faire sur le marketing de Nespresso sans aller imaginer de nouveaux produits. Tout d’abord, comme tout produit sophistiqué et positionné sur luxe, Nespresso est attaqué sur son impact écologique.
Pas de grandes surprises, il faut bien beaucoup d’eau et d’énergie pour élaborer et distribuer ce produit et la production de déchets n’est vraiment pas minime.
Il faut quand même noter qu’en Suisse, on peut rapporter ses capsules (100% recyclables) chez les vendeurs de machines pour recyclage. Le marc de café est utilisé pour la fabrication d’engrais et l’aluminium est fondu pour une réutilisation.
Ensuite, la santé est un grand vecteur de peur dans les pays occidentaux. Le choix de l’aluminium pour emballer les capsules est logique (barrière à la vapeur d’eau et à l’oxygène) mais il entre fatalement en résonance avec la toxicité de l’aluminium pour l’organisme malgré un film plastique qui empêche le contact entre le café et la paroi de la capsule.
D’autres craignent que l’aluminium tombe dans le café consommé au moment de la perforation puis de l’écoulement du café. Heureusement, c’est un matériau malléable sans risque de résidus.
De même, certains s’alarment sur la présence éventuelle de colle pour fermer la capsule alors qu’il n’y a pas de colle sur l’opercule, juste une fine couche de plastique qui vient fondre entre la capsule et l’opercule, tous les 2 en aluminium.
Il y a aussi la dimension éthique, la production de café étant un emblème du-combat-des-petits-producteurs-pour-survivre-aux-conditions-infernales-des-géants-occidentaux. Mais là, si Nespresso a mis du temps pour réagir, on peut dire que la société s’est enfin dotée d’outils à la hauteur des attentes du public avec son programme AAA qui reçoit le cautionnement d’une ONG, la Rainforest Alliance.
aaa.jpgCe programme s’attache à la qualité et à la pérennisation de celle-ci en aidant les petits producteurs avec des contrats sur 10 ans afin qu’ils continuent à produire du café cueilli à la main, soient correctement rétribués et ne passent pas à une culture intensive ou qu’ils n’émigrent vers des villes par manque de rentabilité de leur culture. Les adhésions à ce programme ont couvert 30% des besoins Nespresso en 2006 et devrait atteindre les 50% en 2010. Un résultat déjà atteint par Starbucks aujourd’hui, qui signe depuis 2001 des contrats identiques, de 1 à 10 ans.
Car ils sont nombreux ceux qui s’intéressent à ces cafés “premium” qui représentent 10 % du marché et ils se battent pour obtenir l’exclusivité sur les 10 à 20 % des meilleurs de ceux-ci. Starbucks le premier, en achetant plus de 36% au dessus du cours de la bourse de New York des quantités colossales. Nespresso le deuxième, contraint de s’aligner.
Côté occidental enfin, les commandes de la VPC sont préparées chez un prestataire qui gère des ateliers protégés pour handicapés, faisant ainsi œuvre sociale.
Mais le prix change aussi la donne. Au fur et à mesure que Nespresso attaque des cibles plus jeunes ou plus populaires avec des machines moins chères et plus design, on constate une montée en puissance des clients hédonistes, amateurs de café, au détriment des clients “statutaires”, satisfaits de payer plus cher ou tombant en idolâtrie.
Ces nouveaux clients hédonistes sont aussi les vecteurs du contournement du lock-in. C’est ainsi que différentes méthodes ont vu jour pour remplir les capsules usagées ou pour les remplacer définitivement par une capsule perpétuelle en acier.
Avec la popularité, vient aussi la contestation. Sur internet elle est très forte et la marque est régulièrement mise en cause sur son lock-in et les prix pratiqués. C’est sans doute la raison pour laquelle Nespresso est très actif avec des commentaires sur les blogs qui parlent du produit ou de la marque, malheureusement souvent “under-cover“.
Le résultat de la supercherie est dévastateur : il exacerbe la parano des gestionnaires de blogs et favorise le développement de théories de complot sur d’hypothétiques additifs ou autres…
Globalement, le marché reste très porteur pour les dosettes alors que les ventes de café ne cessent de reculer en France. Il a augmenté de 28% l’an passé pour atteindre 250 millions d’euros en 2007 et les dosettes, toutes marques confondues, ont déjà conquis un foyer sur 4…

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