02/10/2009

Mythes et réalités de la génération Y

Author: Romain Dehaudt, Head of Revenue & Operations

Il ne manque pas de billets et d’alerte pour nous dire tous les jours que les petits jeunes arrivent, pensent et font différemment, sont nativement digitaux, sinon ont muté du cerveau. Il est en tous les cas certain que toute marque ou organisation qui ne s’intéresserait pas à la première vraie génération digitalisée prend un risque de décalage inconsidéré d’avec ses publics.
Derrière la mythologie, il est bon parfois de descendre sur terre et de constater par soi-même. L’occasion s’est très récemment présentée à moi puisqu’une école d’ingénieur a souhaité que j’évangélise toute une promotion aux joies des médias sociaux, problématique de la recherche d’emploi et de la modernité des réseaux sociaux d’entreprise oblige. Cela m’a permis de consolider diverses confrontations du genre, et un peu mes perceptions. Je précise que je parle ici de gens qui font des études technologiques, mais pas IT. Je suis donc hors cursus digitalement orienté.

Ayant donc passé en revue quelques 150 têtes bien faites, force est de constater que cette génération est effectivement parfaitement à l’aise avec les technologies, dégage une certaine confiance dans l’avenir et ses capacités.

Je me suis fendu d’un petit quizz qui a montré qu’ils sont tous connectés. A plus de 90%, ils s’ébrouent joyeusement sur Facebook. On sent que la fraction qui n’y est pas l’est par contingence (ce qui m’a rappelé des études sur la marginalisation vécue par les jeunes qui n’avaient pas de PC à la maison). Mais dès que l’on aborde des instruments moins grand public, comme FlickR, LinkedIn ou Viadeo, ils sont à peine 10% à les connaître et moins encore à s’en servir. Twitter peut-être un peu plus, mais à peine. De l’intérêt de l’intervention vous me direz. Dès que j’ai eu pu donner du sens et montré l’utilisation sensée de ces services, notamment en mode pro, il est clairement apparu deux choses :

1/ la soudaine prise de conscience que l’univers digital ne leur appartient pas. Howard Rheingold avait montré il y a plus de dix ans maintenant que le virtuel était l’espace des nouvelles générations, celui où ni les parents ni les profs sont et où ils font ce qu’ils veulent. Récemment, il a été montré que le digital était une façon d’étendre, ou de s’évader de son domaine (sa chambre). Non pas qu’il n’y a plus de zones grises pour eux aujourd’hui, mais ils ne pensaient visiblement pas que les adultes et l’autorité soient aussi présents. Frisson d’angoisse garanti dans l’assistance face à la soudaine compréhension que leur petit nid était bien connu et à portée de tous et doute sur la fiabilité de la liste des “amis” vs le contenu du profil…

2/ la découverte que du web comme instrument de productivité, avec ce que cela veut dire du travail nécessaire à devoir gérer des profils avec un sens productif. Corollaire : la compréhension que ce qu’ils font dans Facebook relève finalement du bac à sable et qu’une partie de leur avenir peut dépendre d’un vrai investissement et de ce qui s’appelle de la discipline, sur les médias sociaux.
Face aux enjeux de l’identité numérique qui sont devant eux (recherche d’emploi, carrière, etc.), je ne peux que constater un regard pragmatique. Ils savent faire, ou ont la conviction qu’ils sauront. Et je veux bien les croire. Pour autant, cela semble plus vécu comme un travail, tout au moins une astreinte de la vie, qui peut avoir ses joies, mais qui consomme le peu de temps qu’ils ont et qui doit donc être efficiente. Je n’ai pas observé de mythologie de la technologie. C’est juste un moyen.
Cette soudaine réalité a suscité plusieurs observations du genre qu’il fait beau dehors. Cette génération est peut être digitale, elle n’est pas pour autant un peuple de geeks. Elle conçoit, à mon sens, les technologies comme un moyen pratique et efficient, pour peu que celles-ci le soient vraiment. La technologie ne leur est pas magique. La vie digitale (doit) aide(r) à mieux vivre, mais ça ne donne pas un sens à la vie.

Aussi, je suis de plus en plus convaincu qu’on n’est pas loin sinon carrément dans un malentendu. Ce n’est pas parce que les jeunes se servent de la technologie qu’ils en conçoivent le sens, notamment celui qu’elle peut prendre professionnellement ou productivement parlant. Un grand classique de l’incompréhension des usages me direz-vous.
À telle enseigne, que j’ai été vraiment surpris de constater de très fortes carences en terme de techniques de veille. La moitié d’entre eux connaît le RSS, mais moins du cinquième s’en sert. Les outils de bookmarking sont ignorés. Au passage, à peine 5% à peine se revendiquent créateurs de contenus. On touche là du doigt le malentendu pointé par certains qui est qu’ils sont sensés savoir faire, mais qu’être capable est une chose, être opérationnel demande à comprendre le sens des choses, ce qui s’apprend. Comme d’habitude, on pense outil et l’on oublie le sens même de l’éducation, on oublie que ce ne sont pas d’outils dont il s’agit, mais d’usages, c’est-à-dire de la mobilisation d’outils au services de buts, avec du sens et des tactiques efficientes.

Dans la même veine, je ne crois pas que, tacitement, les jeunes et à fortiori le grand public, soient massivement conscient de leur pouvoir de consommateurs connectés. J’ai le sentiment qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font, ce qui ne veut pas dire que, lorsqu’ils dégomment une marque ou un produit, ils n’ont pas au fond d’eux même la motivation d’être entendus. C’est juste un problème de conscience collective.
Si c’est bien le cas, c’est à la fois une bonne nouvelle pour les marques, parce que cela veut dire qu’il y a un potentiel sur lequel construire une relation, et une mauvaise car il ne faut pas plus de deux minutes et une frange d’individus éclairés pour former des bataillons de consommateurs, mais aussi de citoyens, conscients et agissants. Au passage, une bonne illustration de la collision possible …

Le principal intérêt de mon intervention était la prise de conscience des possibles, mais aussi de l’impact caché de ce qu’ils font déjà. Après ce court éclairage (1h30), il a été constaté un bien meilleur contrôle de la privacy des profils Facebook, la création de comptes Viadeo ou LinkedIn pour isoler et développer de la socialisation pro, alignés sur des ambitions internationales ou non. Et je ne parle même pas de l’impact en terme de vraie mise en réseau des anciens et des nouveaux. Cela fait longtemps que je dis que le bénéfice passe par de l’éducation. J’ai pu vérifier que le potentiel ne demandait pas grand chose pour être transformé…

Et hop, un petit goodie culte pour mettre en perspective …

gallery image